L'HISTOIRE DE SAUVONS L'USINE (GROVER) 2004-2006

En mettant de l'ordre dans mes dossiers informatiques, j'ai retrouvé ce texte que j'avais écrit pour résumer l'histoire de Sauvons l'usine. Je n'ai malheureusement pas de documentation visuelle, c'est dommage parce qu'il y a eu une mobilisation vraiment extraordinaire. Seulement dix ans passés, nous n'avions pas de cellulaires et nous n'étions pas sur les médias sociaux. Il y a bien Pierre Lefebvre et  Rodrigo Pino qui avaient presque tout filmé, les assemblées, les réunions houleuses, les manifestations, mais les films sont en quelque part, dormant dans des boîtes.

J'imagine que la lecture de ce texte va réveiller beaucoup de souvenirs à tous ceux et celles qui y étaient. Je pense à Louis Georges Vanier, Élaine Despins, Dominique Engel, Sylvie Lupien, France Rhéaume, Patrycja Walton, Yves Sioui Durand, Dominique Champagne, Pierre Lefebvre, André Piché, Rodrigo Pino, Normand Poiré, Nadia Myre, Marie-Anne Marchand, Hubert Soucy, Emmanuel Sévigny, Christian Martel, Hélène Pappathomas, Susanne Tanguay, Julie Mongeau et bien d'autres ...

J'ai une pensée spéciale en mémoire de François Lafontaine, architecte, qui avait assumé la présidence du conseil de la Coopérative, alors qu'il était atteint d'un cancer incurable. Nous avons célébré son mariage quelques mois suivant les événements. Il est décédé peu après.


L’histoire de la Coopérative Sauvons l’usine Grover s’est déroulée de la fin septembre 2004 à l’été 2006. Elle est assez complexe et riche en rebondissements et anecdotes que je pourrais en faire le sujet d’un livre. Sauvons l’usine a fait l’objet d’une forte mobilisation, avant tout des locataires de la Grover mais aussi de nombreux partenaires du milieu culturel de Montréal. Les artistes, artisans et travailleurs culturels qui se sont impliqués dans la Coalition Sauvons l’usine puis dans la Coopérative ont aussi contribué aux nombreux chantiers de réflexion que la Ville de Montréal a menés au cours de cette période sur la situation des ateliers d’artistes établis dans des bâtiment industriels désaffectés. 

LA COOPÉRATIVE SAUVONS L’USINE ET LA GROVER

«À la fin septembre 2004, les occupants de l’édifice GROVER ont appris par les médias qu’une offre d’achat avait été acceptée par le propriétaire, Marvyn Grover. L’édifice sera transformé en un vaste complexe résidentiel sous réserve d’un changement du zonage d’industriel léger à résidentiel. Le Groupe Mach, en association avec la SHDM (Société d’habitation et de développement de Montréal), projette la construction d’environ 200 logements et condos. Les locataires seront tout simplement évincés. Pour l’ensemble des occupants cet état de fait est inacceptable. Ils réagissent en créant la Coalition Sauvons l’usine. Celle-ci fait valoir que le projet de conversion de l’édifice en complexe résidentiel menace directement 300 travailleurs culturels.

D’emblée les locataires de la Grover ne se contentent pas de s’opposer au projet de changement de zonage, ils sont déterminés à acquérir le bâtiment. Ces acteurs d’horizons divers se regroupent et passent rapidement à l’action. Un comité directeur est alors mis sur pied et la Coalition Sauvons l’usine retient les services de consultants juridiques et techniques. Conscient de l’importance d’être vu et entendu, le groupe alerte les médias. Misant sur ses ressources internes, il se dote également d’un site Internet..

Les occupants de l’usine ne tarderont pas à récolter les appuis. Une soixantaine d’organismes dont Culture Montréal, Héritage Montréal, l’Union des artistes, le Comité logement Centre-Sud, le Regroupement des artistes en arts visuels (RAAV) et le Conseil des métiers d’art du Québec (CMAQ) ont exprimé leur soutien à la démarche de la coalition. Un grand nombre de ces organisations participent à la grande assemblée publique d’information, tenue à la Maison de la Culture Frontenac à la fin novembre au sujet de l’avenir de l’usine Grover.

La levée de boucliers des locataires a su empêcher la transformation de l’usine. Elle a d’abord conduit l’arrondissement Ville-Marie à renoncer au changement de zonage. Dans son mémoire présenté à l’arrondissement, la coalition cite une étude du comité de revitalisation locale selon laquelle le secteur dispose de suffisamment d’espace pour permettre la réalisation d’au moins 4 000 logements. Les arguments de la Coalition amènent aussi la SHDM à se retirer du projet.

À la mi-décembre 2004, le Groupe Mach accepte de céder son offre d’achat à une coopérative à être formée, et ce, jusqu’au 19 février 2005. Deux courts mois au cours desquels les locataires travaillent d’arrache-pied pour recruter des membres, sensibiliser l’opinion publique et la Ville de Montréal, et rechercher le financement requis pour l’acquisition du bâtiment.

La Coopérative Sauvons l’usine est légalement constituée le 25 janvier 2005. La campagne de recrutement alors initiée s’avère un vif succès. En quelques semaines seulement, Sauvons l’usine réussit à recruter plus d’une centaine de membres qui acceptent de souscrire 300 $ pour l’achat de parts sociales. De nombreux prêts sont consentis à la Coopérative par des membres et des supporteurs. De plus, une campagne de recherche de commandites est lancée auprès d’une cinquantaine d’entreprises.

En février, les démarches se multiplient à la recherche de partenaires financiers et d’appuis de toutes sortes. La Coopérative inscrit son projet au Forum des équipements du Programme de soutien aux équipements culturels, programme financé à parts égales par la ville et par le ministère de la Culture et des Communications du Québec.

Forts de l’appui du maire de l’arrondissement Ville-Marie, une centaine de locataires et de sympathisants interpellent le comité exécutif de la Ville de Montréal en manifestant joyeusement devant l’Hôtel de ville. La Coopérative obtient la tenue d’une rencontre, qui aura lieu quelques jours plus tard, avec la direction des équipements culturels et la Société de développement de Montréal (SDM). Le délai est trop court. Les organismes municipaux ne peuvent intervenir pour sauver la Grover.

Dans la dernière semaine précédant l’échéance, les locataires, munis de pancartes, affrontent le froid matin et soir au coin des rues Ontario et Delorimier afin de sensibiliser la population et les médias au sauvetage de l’usine. Une nouvelle assemblée publique est organisée, cette fois, à la Cinémathèque québécoise, pour « annoncer la mort du projet ».

À la date fatidique du 19 février, le Groupe Mach accorde à la coopérative un sursis d’un mois au cours duquel tous les efforts seront déployés pour trouver le financement et la mise de fonds requise. En vain. Le 19 mars 2005, l’offre d’achat devient caduque et l’usine est remise sur le marché immobilier.

On continue tout de même… mais il n’existait aucun programme – et il n’en existe toujours pas - qui permette d’accéder à la propriété pour des ateliers. Pour boucler son montage financier de près de 8 M$, la Coopérative qui avait obtenu une assurance d’hypothèque de la part de la Caisse d’économie Desjardins de la culture devait fournir un capital de plus de 2 M$. Afin d’être en mesure de garantir des locaux à des coûts acceptables pour ses membres (pas plus de 9$ du pi.ca), ce montant devait absolument provenir de fonds publics.

Pour compliquer encore les choses, aucun soutien gouvernemental n’aurait pu être accordé dans l’éventualité où la transaction entre la Coopérative et le propriétaire du bâtiment aurait déjà été conclue. Il fallait pourtant retirer l’usine Grover du marché si l’on voulait avoir la moindre chance d’en faire l’acquisition. C’est la raison pour laquelle la Coopérative a tenté d’obtenir un pont financier de la part de la SDM. L’élargissement du mandat de la SDM afin qu’elle finance activement les projets d’acquisition de regroupements d’artistes, d’artisans et de travailleurs culturels était l’une des principales recommandations de notre mémoire dans le cadre des consultations sur la Politique culturelle de la Ville de Montréal.

Le hic, c’est qu’il fallait faire vite pour déposer une offre d’achat sur le bâtiment avant qu’un autre promoteur se pointe. Et alors que le conseil d’administration de la Coopérative insistait pour qu’on dépose des demandes de subvention aux divers paliers de gouvernement rapidement avec le premier plan d’affaires datant de janvier 2005, la CDEC - son agent - insistait pour refaire un 2e plan d’affaires avant de déposer nos demandes d’aide financière.

Est arrivé ce qui devait arriver… En janvier 2006, une nouvelle offre d’achat a été acceptée par M. Grover. Dans les mois qui ont suivi, le maire de l’arrondissement Ville-Marie, Benoit Labonté, a mis en place un Comité d’urgence mais le bâtiment a tout de même été vendu en juin 2006 à Vito Papasodaro, le propriétaire actuel.

Les réflexions qui ont été menées par le Comité d’urgence, de janvier à mai 2006, avaient abouti sur une solution novatrice et un modèle de partenariat pouvant s'appliquer à d'autres immeubles et qui aurait fait de l'usine Grover le premier Espace créatif de Montréal. Sauf que, et c’était majeur pour nos membres, le modèle ne comptait pas la Coopérative Sauvons l’usine comme l’un des partenaires, et du fait, confinait les occupants à un statut de locataires.

En bout de course, le financement enfin trouvé par la Ville et ses partenaires a été octroyé pour l’acquisition d’un bâtiment un peu plus au nord sur la rue Parthenais, le Chat des artistes inauguré en 2008. À l’automne 2009, une partie de ceux et celles qui avaient été en première ligne de la lutte ont démarré La Virée des ateliers : Louis Georges Vanier, Carole Arbic, Patryjcja Walton, Anne Donaldson, Susanne Tanguay, France Rhéaume, Sylvie Lupien, Normand Poiré, Dominique Engel, Louise Hamel et moi-même … d’autres se sont joints ou retirés au cours des années. Depuis 2012, le Chat fait partie de La Virée des ateliers.

MORCEAUX À MORCEAUX

Carole ARBIC, Renée GÉLINAS et Patrycja WALTON

à la Galerie Arts Sutton du 30 mars au 30 avril 2017

Depuis de nombreuses années à l’édifice Grover, une ancienne usine textile de Montréal, elles ont toutes trois été engagées dans la coopérative Sauvons l’usine (2004-2006), laquelle a mené, et gagné, une bataille publique pour préserver les ateliers d’artistes dans le bâtiment menacé de transformation en condominiums, une première au Québec et au Canada. Elles ont été du groupe qui a fondé et organisé La Virée des ateliers (2009), une expo-vente annuelle de quatre jours d’une centaine d’ateliers ouverts en arts visuels, métiers d’art et mode, maintenant un événement couru par le tout Montréal et inscrit dans les événements d’intérêt touristique. Renée Gélinas a quitté la Grover en 2015, elle est devenue membre de l’Atelier Circulaire en 2011 et fait dorénavant sa production artistique principale en arts imprimés.

Ces trois artistes visuelles ont en commun une approche de fragmentation dans leur travail qui se traduit dans des assemblages de pièces et de morceaux, que ce soit par l’application de la peinture, par l’usage de rebuts et de fragments d’objets usuels ou par la répétition, la découpe et le réagencement de matrices. Elles défont et raccommodent, recomposent et tissent. Les trois créent des œuvres dont les sujets (pour Walton), les procédés et techniques (pour toutes) sont inspirés des traditions artisanales féminines et par plusieurs années à créer en atelier dans cette ancienne manufacture qui a employé principalement les femmes du quartier.

Artiste captivée par la nature dans son changement perpétuel, CAROLE ARBIC explore les effets de divers matériaux, (tissus, cordon, dentelles, dessins, cartes géographiques…) amalgamés avec des morceaux rescapés de ses propres toiles et palettes qu’elle intègre à ses compositions. Elle invente un monde. Elle déchire, découpe, détruit à la manière d’une danse improvisée, pour mieux construire et mettre en relation les différents éléments d’un puzzle. Des lignes déambulent sur des surfaces colorées et naissant d’un geste libre ou contrôlé, tracés et fragments trouvent leur place.

RENÉE GÉLINAS crée des œuvres abstraites et denses. En peinture, sur un début gestuel, spontané et selon certaines consignes de départ, elle vient surimposer des éléments construits de motifs répétitifs qui font penser à des pièces de tissu. En arts imprimés, elle recycle des morceaux de certaines matrices, et recompose des oeuvres par la duplication, la multiplication des couches ou le recadrage, renouvellant et multipliant les lectures. Les motifs qu’elles utilisent, en plein ou en cache, sont les lettres de son vocabulaire, qui associées deviendront des formes/mots – bâtons, baguettes, rayures, lignes, spirales - et qui, à leur tour combinées, formeront un poème visuel.

En partie autobiographique, le travail en sculpture de PATRYCJA WALTON traite de la destruction, de la transformation et de la métamorphose, à l’image du phénix ressuscitant de ses cendres. Sa pratique repose sur son expérience dans les arts traditionnels féminins. Après avoir brisé des objets domestiques à l’aide d’un marteau (vaisselle, bouteilles de verre, tasses de thé), WALTON en retisse et recolle les fragments dans la confection d’œuvres tridimensionnelles, délicates et fragiles, qui parodient la perception de sa vision oculaire.